fr | en

Séparés par des virgules

Les Années Mao en France

François Hourmant vient de publier, chez Odile Jacob, le premier livre synthèse sur Les Années Mao en France. Avant, pendant et après Mai 68. Dans cet ouvrage, le maître de conférences en science politique de l’UA analyse l’engouement qu’a suscité la Révolution culturelle, en particulier chez les artistes et intellectuels français, de 1966 à 1976.

François Hourmant
François Hourmant
En août 1966, Mao Zedong contesté après l’échec économique de son « Grand bond en avant » (1958-1961) décide, pour reprendre la main sur l’appareil, de lancer la « Grande Révolution culturelle prolétarienne », révolution dans la révolution. Elle s’appuie sur la jeunesse, mobilisée en unités de Gardes rouges s’en prenant aux mandarins, intellectuels conservateurs et autres cadres du parti accusés d’embourgeoisement. Les coutumes et autres « vieilleries » sont bannies.

La « Maomania »

En 1967, le Petit livre rouge, recueil de citations/instructions du président Mao est traduit en français. Il s’en vend 150 000 exemplaires en quelques mois. À la radio, Jacques Dutronc chante « Sept cents millions de Chinois… ». À l’écran, Véronique s’emploie à vivre selon les principes de Mao, dans La Chinoise de Jean-Luc Godard. Côté mode, Pierre Cardin dessine le col Mao. En libraire, André Malraux, dans ses Antimémoires, dresse un portrait élogieux du Grand Timonier. « Nous sommes en pleine “Maomania”, qui ne se limite pas aux groupuscules maoïstes », note François Hourmant qui ouvre son récit par ces « années exotiques », de tendance romantique révolutionnaire.

Les militants maoïstes n’ont jamais dépassé quelques milliers en France. Durant l’été 1967, deux délégations sont invitées à Pékin : l’une du Parti communiste marxiste-léniniste de France, né après la rupture sino-soviétique de 1963, l’autre composée majoritairement d’étudiants de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, membres de l’Union des jeunes communistes marxistes-léninistes (UJCML). Peu nombreux mais influents, « ils vont populariser en revenant les acquis de la Révolution culturelle, qu’ils voient comme une révolution antihiérarchique, antiautoritaire et spontanéiste, une figure de la jeunesse, commente François Hourmant. Ces thèmes, qu’ils vont vulgariser, font écho aux aspirations de la jeunesse française » que l’on retrouvera sur les barricades en Mai 1968.

« Brutalisation du discours »

À partir de 1969, les groupuscules accèdent à une nouvelle visibilité. Sous l’impulsion de la Gauche prolétarienne, descendante de l’UJCML, « on assiste à une radicalisation du discours et des actions ». Pillage de l’épicerie fine Fauchon, enlèvement d’un député, plasticage d’une mairie… Le pouvoir réagit et tente d’interdire l’organe de propagande de la Gauche prolétarienne, intitulé La Cause du peuple. En mai 1970, Jean-Paul Sartre prend la direction du journal. Son arrestation, le 26 mai, devant les caméras, « assure une médiatisation et une visibilité à ces idées, bien plus importantes que le nombre de militants ».

Après « les années dogmatiques », François Hourmant décrit dans son livre une troisième ère, « les années utopiques » qui débutent en 1971. La Chine rouvre alors ses frontières. Les intellectuels, à l’image de la journaliste italienne Maria-Antonietta Macciocchi, s’y rendent. Son récit de voyage, De la Chine, témoignant de « réalisations grandioses » de la révolution, est un succès de librairie. « La majorité des récits de l’époque sont laudateurs. Durant leur séjour, on montre aux intellectuels autorisés une Chine ripolinée, des Chinois triés sur le volet, toujours les mêmes communes populaires et autres écoles du 7-Mai… En somme, des vitrines du maoïsme triomphant », résume l’auteur qui a déjà travaillé sur les témoignages des intellectuels dans un précédent ouvrage (Au pays de l’Avenir radieux, 2000) et traité du mythe révolutionnaire dans sa thèse (Le Désenchantement des clercs). Même Alain Peyrefitte, ex-ministre de l’Éducation du général de Gaulle reconnaît des vertus au pouvoir chinois, dans son best-seller Quand la Chine s’éveillera… (1973). « À l’époque, il y a une vraie méconnaissance de ce qui se passe réellement en Chine. La révolution culturelle a été une grande purge, responsable de 1 à 3 millions de morts. Ce n’est pas une révolution sans fusil, comme on a pu le dire ».

La fin du mythe révolutionnaire

Dès 1971, Simon Leys dans Les Habits neufs du président Mao avait tiré la sonnette d’alarme sur les véritables intentions du leader. Sa voix portera davantage en 1974, dans Ombres chinoises. La même année, un an après la sortie de L’Archipel du Goulag du dissident russe Soljenitsyne, le Franco-Chinois Jean Pasqualini témoigne de ses 7 années passées dans un camps de travail en Chine, dans Prisonnier de Mao. « La France découvre l’univers concentrationnaire chinois. Ce livre crée un choc. Il s’opère alors un basculement dans le monde intellectuel, avec une remise en cause des grands récits. C’est le début du déclin, le procès du marxisme comme générateur de totalitarisme ».

Le 9 septembre 1976, Mao disparaît. « Avec le président Mao Tsé-toung s’éteint un phare de la pensée mondiale », commentera le président Valéry Giscard d’Estaing.

Pratique

Les Années Mao en France. Avant, pendant
et après Mai 68,
de François Hourmant,
est sorti le 31 janvier 2018,
aux éditions Odile Jacob.

288 pages

N° ISBN : 9782738141613

Prix : 22,90 €

Lire un extrait sur le site de l'éditeur

Scroll