fr | en

Séparés par des virgules

40 ans de musiques hip-hop en France

Maîtresse de conférences en sociologie à l’Esthua et membre du laboratoire Eso, Marie Sonnette-Manouguian vient de co-signer avec Karim Hammou, chercheur au CNRS, 40 ans de musiques hip-hop en France. L’ouvrage est paru aux Presses de Sciences Po, en collaboration avec le ministère de la Culture.

Il y a eu l’avènement du jazz dans les années 1920 et celui du rock quarante ans plus tard. Puis les années 1970 ont vu elles l’éclosion aux États-Unis du hip-hop, débarqué en France dans les années 1980 avec le rap et le RnB comme têtes de gondole.

Née en Seine-Saint-Denis en 1983, Marie Sonnette-Manouguian a vu son adolescence bercée par ces musiques dites populaires. Après avoir soutenue en 2013 une thèse de 752 pages consacrée aux pratiques d’engagement politique de rappeurs en France - mention très honorable et avec les félicitations du jury -, la jeune chercheuse propose dans cet ouvrage un état de la recherche contemporaine et expose les résultats de trois enquêtes inédites d’ampleur sur les musiques hip-hop en France. Et ce plus de vingt ans après la première étude française consacrée au rap américain, Le Rap ou la fureur de dire. « Depuis la fin des années 1990, des jeunes chercheur∙es développent leurs analyses du rap en l’envisageant sous l’angle de la sociologie de la jeunesse et des classes populaires, retrace-t-elle. C’est à partir de 2005, année où la revue Volume ! publie son premier numéro intégralement consacré aux sonorités du hip-hop que les recherches académiques sur le rap se diversifient. Elles l’étudient sous de nouveaux angles : celui du travail artistique, de l’écoute musicale de ses publics conjugués au pluriel, et de son histoire. Ensuite, à partir de la seconde moitié des années 2010, les recherches se multiplient et s’inscrivent plus fréquemment dans des disciplines autres que la sociologie. »

Éclairer le présent

Ce livre combine ainsi la synthèse de savoirs académiques qui ont fait l’objet d’un colloque « Conçues pour durer : perspectives francophones sur les musiques hip-hop » à Paris en 2017 à la Maison des metallos, et de connaissances neuves produites ou mobilisées par une équipe de chercheur∙es issu∙es de différentes disciplines : sociologie donc mais aussi anthropologie, géographie, et musicologie. « Au quotidien, les étudiant∙es évoquent l’envie d’étudier ces musiques et les différents acteurs du monde de la culture nous ont convaincus de la nécessité d’un tel ouvrage pour éclairer le présent et nourrir les travaux à venir. »

Ainsi, pendant cinq ans, Marie Sonnette-Manouguian et Karim Hammou, chargé de recherche au CNRS, ont travaillé à la publication de cet ouvrage avec le soutien du Département des études, de la prospective, des statistiques et de la documentation du ministère de la Culture. Grâce à ce dernier, les deux chercheur∙es ont notamment pu exploiter les résultats de la grande enquête décennale sur les pratiques culturelles des résidents en France, ainsi que les chiffres de vente GFK, société allemande qui propose des données d’études de marché, de la musique physique et numérique.  « L’idée était d’apporter notre regard de chercheur∙es sur quarante ans de musiques hip-hop en France et d’expliciter les transformations d’un monde encore en développement en synthétisant les connaissances en sciences humaines et sociales. Il est intéressant d’observer ce que produit l’apparition de ces formes musicales inédites du point de vue commercial ou encore professionnel, et plus largement leur place dans les pratiques culturelles contemporaine. »

« Le rap a gagné en respectabilité mais continue de subir des formes de stigmatisation »

Plusieurs thématiques sont ainsi abordées dans les six chapitres de l’ouvrage : les espaces et innovations esthétiques des musiques hip-hop, la place du rap et RnB, le rap et les mouvement sociaux… « Le rap est passé d’une musique populaire et stigmatisée entre les années 1980 et 2000 à l’acquisition progressive d’une position sociale de plus en plus légitime, avec des artistes reconnu∙es et présent∙es dans de nombreuses émissions culturelles, et nommées pour les prix musicaux les plus prestigieux observe Marie Sonnette-Manouguian. S’il est de plus en plus écouté et s’est diversifié ces dernières années, le rap reste cependant la cible de certains membres de la classe politique qui, pour appuyer leur agenda politique, mènent des polémiques qui peuvent aboutir à des annulations de concerts et des plaintes en justice. En 2021 par exemple, des membres du Rassemblement national conduisent le président de la Fédération française de football à regretter le choix du rappeur Youssoupha pour interpréter un morceau accompagnant la sélection des Bleus pour l'Euro. Notre enquête montre que si, en quarante ans, le rap a gagné en légitimité culturelle, il reste une pratique stigmatisée, au même titre que les jeunes hommes racisés qu’il est censé incarner dans les représentations mentales de ces politiques. »  

Scroll