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La beauté, un atout en politique ?

Professeur de science politique à l’Université d’Angers et membre du Centre Jean-Bodin, François Hourmant vient de publier Pouvoir et beauté : le tabou du physique en politique.

« On ne peut pas réduire une élection à un concours de look », estimait Laurent Fabius, alors candidat à l’investiture présidentielle du PS, en 2006. Si la beauté et l’apparence ne sont certes pas des gages de succès en politique, ce sont des variables qui façonnent (indirectement ?) l’image d’un∙e candidat∙e.

La thématique de la beauté en politique est ainsi au cœur du nouvel ouvrage de François Hourmant. « Cette question est centrale mais n’a jamais été vraiment étudiée en France, détaille l’enseignant-chercheur. Ce livre est la continuité d’un article écrit dans le cadre d’un colloque des doctorants organisé à Angers en 2015 par le Centre Jean-Bodin et intitulé Beauté : aspects juridiques et politiques. Si la beauté est multiple et convoque des valeurs morales, intellectuelles ou comportementales, elle peut aussi renvoyer à plusieurs formes de discrimination. Dans cet ouvrage, je questionne le poids des apparences et analyse ce processus d’embellissement qui construit la majesté politique sur plusieurs périodes. »

Une mise en scène à travers les époques

La question de la beauté est ancienne et liée au pouvoir : les hommes perses se maquillaient – procédé censuré chez les Grecs et Romains –, Jules César cachait sa calvitie et nouait sa toge de manière différente pour se distinguer de ses adversaires, Louis XIV au crépuscule de sa vie, était représenté par Hyacinthe Rigaud comme un roi dynamique et jeune. Le corps est donc dans un premier temps un outil de séduction. « Xenophon, philosophe de la Grèce antique, parlait de politique de l’éclat, ajoute François Hourmant. La beauté a longtemps été liée à l’éminence de la fonction plus qu’à son détenteur. Il s’agissait d’une « beauté attribuée » alors qu’aujourd’hui on pourrait parler plutôt d’une « beauté attribut », c’est à-dire d’une ressource mobilisable par les compétiteurs. »

Mais l’apparence peut néanmoins être une arme à double tranchant. « De nombreuses femmes ont été – et sont encore trop souvent -  attaquées sur leurs apparences. Cet enfermement dans la corporéité n’épargne toutefois plus les hommes : l’embonpoint de François Hollande a nourri de nombreux sobriquets qui connotaient molesse politique et indécision. »

La notion d’image de plus en plus prise en compte

Depuis la généralisation des médias audiovisuels et l’avènement des réseaux sociaux, chaque photo est scrutée, examinée par tous, et la vie de famille est aussi exposée. Une mise en scène savamment orchestrée ? « Aujourd’hui, il y a une évolution avec l’essor de la culture de masse et une montée en puissance de l’individualisme. Nous assistons ainsi à une valorisation des personnalités par les médias, avec un glissement des enjeux au « je » politique. D’où l’émergence de conseillers en image et en communication. »

Une beauté « travaillée » qui peut rapporter. « De façon significative, le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) retient désormais, parmi les variables explicatives du vote, l’image du∙de la candidat∙e : celle-ci convoque le personnage et ses qualités (pouvoir, compétences, autorité). Mais la psychanalyse nous apprend que certains éléments relèvent de l’inconscient. Difficile dès lors de ne pas évaluer un individu par le prisme de son apparence et de la séduction (ou de rejet) qu’elle suscite. »

Alors la beauté peut-elle alors moduler le verdict des urnes en influençant les électeur∙ices les plus indécis∙e∙s ? C’est ce que confirme tous les travaux anglo-saxons sur le sujet. Le philosophe français Jean Baudrillard écrivait dans La société de consommation (1970) : « On gère son corps, on l’aménage comme un patrimoine, on le manipule comme l’un des multiples significats de statut social. »

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