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« Ce n’est pas une punition d’enseigner le FLE en prison ! »

Titulaire d’un master Didactique des langues à l’UA en 2013, Hugo Barini a enseigné le français en prison pendant plusieurs années. Il a conçu une méthode innovante dans un ouvrage qui vient de paraître.

Pour Hugo Barini, ce lundi 7 mars est un jour spécial. Dans les locaux de la Faculté de lettres, ici même où il a effectué une partie de ses études, il fait face aux 15 étudiant∙es de master Français langue étrangère (FLE). L’occasion pour celui qui travaille aujourd’hui à la maison d’arrêt d’Angers de raconter son parcours et de présenter son ouvrage.

Quel est votre parcours ?

Hugo Barini : Pendant quatre ans, de 2016 à 2020, j’ai travaillé à la maison d’arrêt de Nanterre en tant que contractuel de la fonction publique dans l’administration pénitentiaire. C’est un milieu étranger à beaucoup de personnes que j’ai découvert lors de ma 2e année de master à l'UA. Pour mon mémoire, j’ai fait un état des lieux de l’enseignement du FLE dans le milieu carcéral, avec un focus sur la formation des professeur∙es. Les personnes qui enseignent sont titulaires de l’Éducation nationale (EN) ou vacataires dans le cadre d’une convention signée entre l’EN et le ministère de la Justice. Ce n’est pas une punition d’enseigner en prison !

Comment ceux qui arrivent en prison apprennent-ils le français ?

H.B : Il faut savoir qu’en 2019, 17 000 personnes détenues sur 70 000 étaient scolarisées. Beaucoup ont un mauvais souvenir de l’école donc notre mission est de leur redonner envie d’apprendre. A Nanterre, ceux qui arrivent suivent un module FLE de cinq semaines. Les mineurs sont prioritaires, puis sont aussi concernés les personnes en situation d’illettrisme, les allophones, et les jeunes majeurs. Nous n’étions pas censés connaitre les raisons de leur incarcération. Une fois les portes de la « classe » passée, c’est un public ordinaire et intéressant. On peut débattre de tout, il n’y a aucune limite. Ce module vise à leur faire comprendre le fonctionnement de l’administration. Certains suivent des cours pour s’en sortir, ils veulent profiter de leur incarcération pour apprendre. Pour eux, passer un diplôme d’études en langue française (DELF) est valorisant. D’autres sont là pour être bien vus par l’administration. Enfin, c’est aussi une question de survie pour certains, même si ce n’est pas simple de se concentrer et de travailler en autonomie quand on est trois dans une cellule de 10 m². 


Hugo Barini a présenté son ouvrage aux étudiant∙es de master FLE.
Pourquoi et comment avez-vous créé une méthode d’apprentissage innovante ?

H.B : Les méthodes FLE existantes ne sont pas adaptées au milieu carcéral : tous les professeur∙es ne sont pas formé∙es à la didactique du FLE et les thématiques abordées dans les manuels traitent de la vie quotidienne, alors qu’il faut s’adapter à ce public et à leurs niveaux, qui oscille entre A1 et A2. Enfin, de nombreux supports proposent des ressources numériques mais nous ne disposions pas d’internet, et encore moins d’un ordinateur. Nous avions seulement d’un vidéoprojecteur, d’un lecteur CD, et d’une photocopieuse. A partir de cette expérience, j’ai commencé à concevoir la méthode Fenêtre sur cours en 2018. Composée de deux livres (le cahier de l’apprenant et le manuel du formateur), elle doit répondre aux besoins des apprenants. On y suit la vie quotidienne de Pablo Cardenas, un détenu fictif : ses démarches en arrivant en prison, sa préparation à la sortie (logement, travail, vie en France). Entre 2020 et 2021, j’ai donc écrit cet ouvrage, qui est financé par les Presses universitaires de Grenoble et la direction administrative pénitentiaire. Ce n’était simple de chercher une maison d’édition puisque ce livre ne va pas rapporter de l’argent.

Avez-vous aimé enseigner en prison ?

H.B : J’avais la sensation d’être dans une petite école dans une prison : j’enseignais le français à des personnes majeurs pendant des cours de 2 h, trois fois par semaine, aux côtés de 22 autres professeur∙es. 80 % étaient par ailleurs des femmes : c’est faux de dire qu’elles n’ont pas leur place ici. C’est passionnant de travailler en milieu carcéral, même si ce n’est pas facile de mener des activités interculturelles : il faut penser aux expériences traumatisantes vécues par certains (violences au sein de la famille, pays en guerre), avant de mettre cela en place. Ce n’est pas non plus toujours simple de sortir chaque jour de prison et de penser à ceux qui restent.

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