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Séparés par des virgules

La face sombre de l’adoption internationale

Deux historiens de l’Université d’Angers, Yves Denéchère et Fabio Macedo, ont publié le 6 février une « Étude historique sur les pratiques illicites dans l’adoption internationale en France ». Le document donne à voir la récurrence d’actes graves qui ont entaché les processus d’adoption d'enfants étrangers depuis les années 1960. Disponible en ligne, l'étude pourrait éclairer les travaux de la mission d'inspection interministérielle chargée de faire la lumière sur ces pratiques illicites.

Faux orphelins, bébés volés, documents falsifiés… Régulièrement, les médias se sont l’écho de « scandales » de l’adoption internationale, phénomène qui s'est développé en France à partir des années 1960, avant de décliner depuis 2005. Ici, c’est un adulte qui découvre quel a été son véritable parcours avant d’arriver dans l'Hexagone. Là, 15 ans après l’affaire de l’Arche de Zoé au Tchad, c’est une association aux pratiques douteuses qui est pointée du doigt…

À l’instar de l’Irlande, de la Suisse, des Pays-Bas et de la Suède qui ont diligenté des enquêtes, la France a lancé le 8 novembre 2022 une mission d’inspection interministérielle (ministères de l’Europe et des Affaires étrangères, de la Justice et des Affaires sociales) afin de faire la lumière sur les pratiques illicites dans l’adoption des enfants étrangers.

Avant cela, dès 2021, Yves Denéchère, professeur d’histoire contemporaine à l’UA, spécialiste de ces questions, a proposé à la Mission de l’adoption internationale (MAI), l’autorité française garante de l'adoption internationale, que soit réalisée une étude historique sur cette thématique. Sur la base de son projet scientifique, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a accepté de financer une mission postdoctorale de 12 mois. Elle a été confiée à Fabio Macedo qui a œuvré durant toute l'année 2022 sous la supervision d'Yves Denéchère.

Le résultat de ces travaux, menés en totale indépendance, prend la forme d'un document de 150 pages intitulé « Étude historique sur les pratiques illicites dans l’adoption internationale en France ». Outre une revue de la littérature scientifique et une bibliographie des ouvrages et publications parus sur le sujet, le compte-rendu de recherche est constitué d’un guide commenté des sources (archives, sources audiovisuelles, presse) qui permet de documenter les pratiques illicites. Une quatrième partie propose de nouvelles pistes de recherche afin d'explorer des questions restées en suspens.

« Des signalements nombreux, récurrents »

Premier enseignement de l’étude : « L’adoption internationale en France a concerné beaucoup plus d’enfants que les statistiques régulièrement avancées, révèle Yves Denéchère. Il faut compter 20 à 25 % de plus. La plupart de ces enfants sont entrés sans visa d’adoption. Et c’est dans ce gap que des zones grises peuvent exister ».

Si « beaucoup d’adoptions se sont faites dans les règles », les archives montrent que « les signalements de pratiques illicites, allant jusqu’à des délits et des crimes, sont très nombreux, récurrents, qu’ils touchent un grand nombre de pays et de nombreux intermédiaires », constate Fabio Macedo. « Les acteurs de l’adoption internationale, y compris institutionnels, ne pouvaient pas l’ignorer », estime Yves Denéchère.

Les deux chercheurs interrogent « le poids de l’argent, aussi bien dans les pratiques licites qu’illicites, et la mercantilisation qui accompagne l’adoption internationale. Les pays d’origine sont des pays pauvres, des États faillis où règne la corruption. À partir du moment où il y a de l’argent, cela fausse tout. Il se développe un véritable marché, avec des fournisseurs, des intermédiaires… Et quand la demande est très forte, cela crée l’offre. Même quand il n’y a pas beaucoup d’enfants abandonnés, on en trouve ».

Attendue par les acteurs de l'espace de l'adoption (associations, personnes adoptantes, personnes adoptées, ministères, chercheur·es…), l’étude dans son intégralité est librement consultable en ligne, à l’adresse : https://univ-angers.hal.science/hal-03972497v1

Les auteurs de l'étude

Yves Denéchère
Yves Denéchère
Yves Denéchère
est professeur d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers. Directeur de l’unité de recherche Temos (CNRS UMR 9016), titulaire de la chaire EnJeux « Parole et pouvoir d’agir des enfants et des jeunes », il étudie les thématiques de l’enfance et des relations internationales.

 

Fabio Macedo
Fabio Macedo
Fabio Macedo
est postdoctorant au sein de l’unité Temos. Docteur en histoire, il soutenu en 2020 une thèse auprès de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), intitulée « Choisir les enfants : nationalité, race et “qualité” dans l’histoire globale de l’adoption internationale (1830-1980) ».

Contact presse

Le communiqué de presse relatif à la publication de cette « Étude historique sur les pratiques illicites dans l’adoption internationale en France » est téléchargeable via ce lien.

Pour toute question complémentaire ou demande d'interview, les journalistes peuvent contacter :
Cédric Paquereau
Chargé de communication scientifique
cedric.paquereau @ univ-angers.fr

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