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Les castrats italiens à l’étude
Nahema Hanafi, chercheuse au laboratoire Temos et maîtresse de conférences en histoire moderne et contemporaine à l’Université d’Angers, coordonne le projet CastrAlter. Elle s’intéresse aux castrats italiens, des chanteurs castrés avant leur puberté pour garder le registre aigu de leur voix.
Issus des milieux pauvres du sud de l’Italie, les castrats émergent à la fin du XVIe siècle sous l’impulsion de la papauté pour chanter les partitions de sopranos. Ils n’étaient ni autorisés à se marier ou adopter, ni à entretenir une sexualité pensée comme intrinsèquement reproductive.
Symboles de virilité en Italie et adulés car servant la cause du divin, ils font l’objet de vives critiques au cours des Lumières, en France et en Angleterre notamment, parce qu’ils y bousculaient les normes de genre. La castration passait effectivement pour les « efféminer » moralement et physiquement. « Mon projet vise à historiciser la notion de fluidité de genre (le fait que le genre d’une personne puisse varier ou ne pas correspondre aux normes du féminin ou du masculin) et questionner les effets des rhétoriques inégalitaires et pratiques discriminatoires liées au genre dans l’Europe moderne », précise Nahema Hanafi. CastrAlter est financé à hauteur de 193 000 euros par l’ANR pour une durée de 3 ans.
Fabrique de l’altérité
Caricature de Carlo Broschi, dit Farinelli, comme Bérénice dans Farnace de Vinci, Rome, 1724.Comment les castrats construisaient-ils leur identité ? De quelle manière percevaient-ils les discours contraignants d’infériorisation ? Exclus socialement, les castrats fascinent mais ont finalement été peu étudiés par les chercheur∙e∙s, en dehors de la musicologie. « Analyser les castrats, c’est observer la société de la Renaissance aux Lumières d’un point de vue juridique, artistique, philosophique, culturel et scientifique. Nous savons que certains souhaitaient entrer en conformité et mettaient ainsi en œuvre une forme de survirilisation, en enchaînant les conquêtes par exemple, tandis que d’autres se jouaient des normes de genre sur scène pour construire la figure du divo. Il y a une réelle pluralité de trajectoires et d’aspirations, variant aussi en fonction des normes socioculturelles des pays où ils s’établissaient. Ce projet a pour originalité de confronter une analyse critique historique aux méthodes de création et de représentation des arts scéniques. Cette collaboration avec des professionnels vise à élaborer des hypothèses en s’appuyant sur la capacité d’imagination des arts scéniques, dans le but d’organiser une réflexion commune autour de questions liées au corps, à la performance, au récit de soi. »
Nahema Hanafi espère trouver des écrits (correspondances épistolaires, mémoires, journal intime) qui émanent des castrats dans les archives européennes pour les confronter à ceux qui les concernent. Avec à terme l’idée de créer une importante base de données collaborative.